Clichés

Avril 2017, newsletter JFYI





Hervé Glauser est bûcheron mais tout le monde l’appelle « Ronge-copeaux ». Il vit à Peney-le-Jorat avec sa copine qu’il surnomme affectueusement « Loupiote », possède un pick-up Toyota 4x4, aime le travail au grand air, l’odeur de l’essence et du bois coupé. Il se lève à 6 heures tous les matins, parle peu et vote UDC parce que ses copains aussi, et parce qu’il aime pas trop les étrangers (même s’il connaît quelqu’un qui en connaît un et il paraît que c’est un bon type). L’autre jour, Hervé a dû descendre jusqu’à la ville pour refaire sa carte d’identité, mais il ne se sentait pas à l’aise, à cause de l’agitation, des mendiants qui jonchent les trottoirs et des gens du WWF, qui l’accostent pour lui demander des sous afin de sauver les 3 derniers pandas roux de Birmanie alors qu’il ne sait pas où ça se trouve. Il est allé une fois en voyage avec la Jeunesse à Acapulco et il a trouvé ça sympa parce que ça ressemblait au Cap d’Adge, où il allait avec son tonton quand il était gamin. Il aurait bien voulu parler avec des mexicains, mais dans l’hôtel, ceux qui travaillaient ne parlaient pas français, et les autres, ils étaient allemands.

Christine Mougette est thérapeute indépendante. A Blonay, dans son cabinet-yourte décorée avec des posters de mandalas et des livres de Frédéric Lenoir, elle prodigue des soins ayurvédiques et prescrit des potions à base de jus de persil pour soigner les cancers. Depuis qu’elle a quitté son petit ami parce qu’il avait pris un Dafalgan au lieu de faire de l’acupuncture, elle part tous les étés suivre des stages de médecine alternative en Inde ou au Sénégal, d’où elle ramène des nouvelles techniques en plus de sa tourista. Elle aime l’odeur de l’encens et les pantalons de lin trop large, et la dernière fois qu’elle a eu envie de faire l’amour, c’était en regardant une émission sur le plancton. Soucieuse du bien-être de la communauté, elle partage sur son site internet « destination-vie-et-nature » des conseils santé et des plannings de cure détox au fenouil cru, douche froide et méditation transcendantale. Et enfin, pour préserver l’environnement, elle ne se lave plus qu’une fois par semaine et soutient les énergies renouvelables, excepté pour le projet qui prévoit de construire une éolienne à côté de sa maison, et contre lequel elle a décidé de faire opposition. Christine, elle va dans le sens du vent.

Guiseppina Terezini a 72 ans. Son mari est décédé à 2 jours de la retraite en s’étouffant avec une arête d’anchois après avoir posé du goudron sur les routes romandes depuis leur arrivée en Suisse en 1963. Elle vit dans son petit appartement de Plainpalais avec Panettone, son bichon frisé diabétique qui n’en peut plus de se faire gaver de friandises toute la journée, et de porter ce petit manteau rouge qui gratte quand ils sortent se promener. Guiseppina aime cuisiner des raviolis maisons pour ses petits-enfants, collecter les coupons-rabais dans le Migros magazine et casser les couilles au marchand de fruits et légumes pour avoir les plus belles tomates au marché. C’est ses petits plaisirs.

Jean-Baptiste Chasson habite Lausanne et il est sans emploi. Diplômé d’un master en sociologie après 24 ans d’études, dont deux années sabbatiques et un échange Erasmus à Barcelone où il a attrapé la gonorrhée, il s’est levé aujourd’hui à 11h car il a passé la soirée à écluser des bières artisanales avec une copine rencontrée à une manifestation contre les violences policières. Le chômage vient de lui payer un stage linguistique de trois semaines à Berlin et il espère ainsi décrocher un 40 % dans le secteur du développement durable afin de pouvoir continuer à consacrer du temps à son poste de secrétaire de l’association : « Le brocoli joyeux », active dans l’ethno-jardinage urbain, et qui projette de construire deux bacs à fleur à la place de l’Ours pour l’été 2018. Les trois faits marquants qui ont changé sa vie ont été la sortie du film « Demain », le jour où, à 18 ans, il a coupé ses dreadlocks après qu’on lui ait annoncé que Bob Marley n’était pas végétarien, et le saccage du McDonald’s de Millau par José Bové en 1999. Jean-Baptiste aime la musique engagée comme Tryo ou Keny Arkana, la grimpe et les films de Yann-Arthus Bertrand. Il a proposé dernièrement d’accueillir un migrant dans sa coloc pendant son absence en trip de kitesurf au Maroc, mais les autres ils veulent pas, il les trouve égoïstes.

Olga Jenssen habite une villa luxueuse à Founex. Elle ne parle pas bien français, ne travaille pas et s’ennuie pas mal. Elle aimerait bien voir un peu plus son mari comme au temps de leur mariage, quand il lui apportait les croissants frais le dimanche matin et qu’ils faisaient ensuite l’amour pendant des heures. Mais maintenant, il est toujours absent à cause de son travail dans une multinationale de la région lémanique, et de ses voyages d’affaire avec sa secrétaire. Le mardi après-midi, elle boit le thé avec ses amies expatriées en discutant des autochtones qu’elles trouvent si peu raffinés. Pour s’occuper, Olga s’adonne à la création artistique dans son petit atelier loué à prix d’or dans le vieux bourg. Elle réalise des objets avec des cailloux récoltés au bord du lac qu’elle colle avec des feuilles mortes sur des bouts de fer rouillé. Elle les prend ensuite en photo et les poste sur son compte Instagram accompagnés d’une citation de Shakespeare ou Barbara Cartland, en espérant que quelqu’un like ou lui laisse un commentaire. Elle aime quand le jardinier vient tailler la haie, et se surprend alors à s’apprêter soigneusement, comme pour se convaincre d’être encore désirable. Et les soirs d’été, en compagnie du robot d’arrosage automatique, elle s’assied avec son verre et une bouteille de Chardonnay au bord de la piscine et elle pense à ses enfants qui étudient à Oxford.

Frédéric Goncerut - Ecriture