Vers solitaires

Juin 2017, newsletter JFYI





Le voici le printemps qui a viré l’hiver,
Apportant le soleil, et les rires de rue,
Son pesant de motards fauchés par les glissières,
Quand fleurissent les jonquilles au col du Marchairuz.

Avant d’aller gaiement, au prochain apéro,
Sortir d’un oeil brillant voir ces tenues légères,
Si vous avez du temps, vraiment rien d’autre à faire,
Je vous invite à lire ce dernier numéro.

À l’âge des cavernes, au tout commencement,
Ramassant sur le pied, un caillou d’un étage,
Par la douleur gêné, notre ancêtre hurlant,
A ainsi inventé les débuts du langage.

Sur les cadrans solaires, ont tourné les aiguilles,
Des cavernes aux gratte-ciels, du silex à l'acier,
Suivant l’évolution de grand-papa gorille,
L’alphabet, la syntaxe, ont vite évolué.

Ivres d’un nouveau don, nos parents en puissance,
Jusqu’à l'ébriété, de phrases abusèrent,
Inventant des histoires, pour y mettre du sens,
Sur ces belles chimères, tous se précipitèrent.

À cause de ces babils glissants comme une pluie,
Dilué dans le flot d’un grand nombre d’inepties,
Le message, important, luttant contre-courant,
Enfin, à bout de forces, se noie dans l’océan.

À force de côtoyer divers individus,
Des sympas aux gros cons, et des plus ambigus,
Subissant constamment, une joyeuse logorrhée,
Par ce ressac verbal, on peut être fatigué.

Ce gaillard rencontré au meeting BMW,
Avec ses quelques potes et ses yeux éclairés.
Il paraissait heureux, se posait pas de question,
Une paire de jantes alu, captait son attention.

Il m’a dit bruyamment, avec ses dents cassées :
« Pour une bagnole comm’ça je f’rai n’importe quoi !
Manger des cervelas quarante-cinq jours par mois,
Avec une belle voiture, c’est la gloire assurée ».

Notre raison vrombit, pressée par l’émotion,
Pareille à l’opéra, ou un moteur diesel,
Elle hurle des tréfonds, que l’existence appelle,
Elle exige rançon, pour guérir nos pulsions.

Alors que mon instinct, était exacerbé,
J’en avais fort besoin, je suis sorti draguer,
Par pure facilité, j’ai garé au parking,
Au rendez-vous galant: une soirée speed-dating.

Je pensais l’honnêteté, elles doivent en raffoler,
Alors quand le moment s’est enfin présenté,
Elle a très fièrement montré ses Louboutin,
J’étais pas obligé, j’ai dit : « ils sont vilains ».

Pas facile pour chacun, de comprendre les codes,
D’être si compliqués, qu’au lieu de s’engager
Sur le plus court chemin du point A au point B,
Nous faisons des détours, attirés par les modes.

J’étais à une expo, quelque part l’autre soir,
Un designer stylé, t-shirt et chaussures noires,
Alors que je kiffais son morceau de plastique,
M’a dit tu comprends pas, m’a parlé d’esthétique.

Je me suis demandé, devant tant d’ouverture,
Voyant le résultat de son curieux boulot,
À quoi bon étaler si peu de confiture,
Sans remise en question, sur sa tartine d’égo.

Parler pour ne rien dire, à chaque conversation,
Au travail, au théâtre, en lavant nos caleçons.
On remplit de nos mots peut-être à notre insu,
Le vide trop angoissant d’un futur inconnu.

Il y avait un débat à la télévision,
Pourquoi j’ai regardé, c’est difficile à dire ;
J’étais bien installé, je voulais plus partir,
Ma gamine est entrée et elle m’a demandé:

“ Papa tous ces gens-là qui sont bien habillés,
Tu trouves pas ça bizarre, de les voir à l’écran?
À toujours discuter au lieu de travailler,
Qui s’occupe du pays au cours de tout ce temps? “

À nous revient la faute, la culpabilité,
D’avoir les beaux parleurs ainsi favorisé.
Aujourd’hui les gagnants ne sont pas les taiseux,
Ceux qui, tapis dans l’ombre, font pourtant de leur mieux.

J’ai appris à crier cela dès mon jeune âge,
Et très tôt j’ai acquis qu’il ne sert d’être sage.
Et plus je pérorais, plus je tonitruais,
À tous les privilèges, en gueulant j’accédais.

Les bruits, à l’origine, faits pour communiquer,
Jaillissant de partout - oh ! menace terroriste ! -
Menant l’entendement, enfin à saturer,
Ne sont plus, aujourd’hui, qu’une gigantesque liste.

Alors quand désormais, on veut dire que l’on s’aime,
La naissance d’un enfant, ou d’autres mots sacrés,
Comme un pote dans la foule, aux festivals d’été,
On a perdu nos mots, au concert d'NTM.

Parler c’est le début ou la fin d’une histoire,
Les amorces de rupture d’un couple fatigué.
Qui a cru que la chair ne servait qu’à baiser,
Et les mots dits ensuite, chuchotaient au revoir ?

J’ai fort à parier, bien que n’en sachant rien,
Qu’au lieu de jacasser comme des collégiens.
Si l’usage du silence, nous avions retenu,
Il aurait évité bien des malentendus.

Mais bien malheureusement, quand nous sommes éreintés,
La société nous dicte qu’il faudrait imiter
Le lapin Duracell, chaque fois qu’il n’en peut plus,
Qui s'en va s’enfiler une autre pile dans le cul.

Frédéric Goncerut - Textes