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Août 2017, newsletter JFYI





C’EST LES VACANCES!!!

A peine achevée la dernière minute au turbin, tu la sens déjà cette euphorie qui pétille dans ton ventre, comme quand à l’âge de 12 ans, tu voyais poindre la fin de l’année scolaire et son énième course d’école aux salines de Bex, ou au zoo de Servion. Ah les Grandes Vacances ! Celles des bouchons sur la route pour le Sud de la France, partis trop tard à cause de ton petit frère Marcus qui avait oublié son filet à crabe et qui avait tellement chialé que toute la famille avait dû faire demi-tour. Tu te souviens de l’odeur de la mer, du goût de l’eau salée quand tu buvais la tasse, de la glace qui fondait trop vite et qui coulait le long du bâton sur tes doigts potelés, et des petites vacancières que tu essayais d’approcher gauchement avec ton accent du pays du chocolat. L’été qui fait remonter à chaque fois des grappes de souvenirs. La fête du 1er août et ses ribambelles de bisons 5 que tu faisais péter pendant le discours du syndic. Ta petite soeur venait alors de cramer son lampion dans une scène d’une tristesse insoutenable, vite effacée par un festin constitué d’un schublig-moutarde concocté par une amicale des pompiers que le chasselas local avait bien plus rôti que la saucisse susmentionnée. Plus tard c’est l’époque de tes 20 ans, des soirées sans fin à traîner sur une terrasse branlante en compagnie de tes soss, armé de ton indifférence envers l’avenir et d’un pack de bières. Maintes fois tu as alors levé ta cannette tiède à la santé de la saison d’or, son insouciance, sa liberté et sa gloire que tu souhaitais éternelle. La puissance des gros sons synthétiques qui flottaient dans la pénombre intemporelle, les road-trips sans buts, les étreintes éphémères qui ne te laissaient qu’un parfum au lever du jour, et des rentrées à vélo tout bourré, quand le visage caressé par l’air chaud de la ville, tu fermais les yeux en savourant l’instant, jusqu’à ce que tu arrives à plat ventre dans les bacs à fleurs d’un rond-point.

Et bien des années plus tard, même si tu es désormais vieux, que tu travailles en costard dans l’import-export, et que tu t’envoies des poignées de coke avec la même assiduité que les lasagnes acidulées que tu achetais au kiosque après l’école, les vacances d’été restent un moment spécial. Il y a un petit quelque chose dans l’air, et pas seulement des moustiques insomniaques entre minuit et 2 heures du matin qui fredonnent une chanson de Carlos dans tes oreilles. Mmmh! L’ambiance de la nuit d’été, quand le goudron encore chaud brasse un air chargé de mille odeurs : un mélange de crème solaire, de pluie d’orage, d’intérieur de transport public et de poubelles qui fermentent, ce moment que les vacanciers, les étudiants ou les chômeurs choisissent pour rentrer en hurlant leur liesse au beau milieu de ton quartier, remplissant de leurs suaves conversations la paix de ton sommeil arrachée à la moiteur des draps.

L’été c’est un sentiment, quelque chose qui te prend aux tripes, des sensations collantes ; tes mains sur le volant trop chaud de ta voiture-four à pizza, tes pieds dans tes mocassins en faux cuir, et tes couilles qui suintent comme 2 festivaliers comateux dans leur tente Quechua par 35 degrés après une biture modèle 14-18. En plus, depuis que le déo Axe Ukraine au sel de plutonium n’est plus à la mode, tu pues la transpi ; ça coule de sous tes aisselles jusque dans tes chaussettes en lin bio. Vivement qu’on arrête les trucs de bobo à base de bicarbonate de soude et de jus de sauge à se tartiner les dessous de bras. La chimie industrielle au moins c’était efficace merde; le DDT et le Round-Up, ça c’est un truc qui fonctionne (mais essayez quand même pas comme déodorant).

De toute façon, vu que c’est les vacances, t’en a rien à foutre. Tu peux enfin passer 8 heures de suite dans la même chaise longue, à faire le même sudoku 4 cases en te nourrissant exclusivement de Snackettis saveur lardons sans avoir besoin de te justifier. Car l’été est tout-puissant, il balaie les joies et les peines, il reboot ton système, te fait oublier tes petites misères pour repartir plein gaz, gonflé à bloc, rempli de ces souvenirs merveilleux que tu ramènes en ce jour maudit de retour au boulot, fauché comme un client de Bernard Madoff, des coquillages dans la valise, du sable dans les chaussettes, 2-3 MST dans le slip et un bronzage expresse ressemblant plutôt à un accident dans une fabrique d’allume-feu. Lorsque devant la lumière grise de ton écran, tu repenseras à ces vacances où tu as peut-être tout perdu (ton argent, ta femme et ta dignité, imitant Mister Bean à poil sur le bar en bambou de l’hôtel après 14 pinacoladas), tu ne regretteras rien.

L’esprit fiévreux, engourdi par le poids de la chaleur qui envahit les derniers îlots d’ombre, tu écoutes mollement le dernier tube latino-dance-rap-max-havelhaar en pensant aux pingouins qui se les gèlent en Antarctique, et qui kifferaient bien un peu de canicule, à chiller à l’ombre d’un parasol avec toi, à parler pétanque et extinction de masse.

Ainsi, attisée par ces bribes de saveurs estivales qui réveillent la mémoire, une excitation délicieuse frémit dans tes entrailles, ta respiration s’accélère, un sourire se fixe. Ni une ni deux, tu files chercher ta valise, ton vélo ou ton baluchon de voyageur et tu t’élances chaud patate sur la route pour partir vers ton destin de vacancier.

Et là, pas de bol, tu n’as pas regardé avant de traverser le carrefour et tu te fais shooter par un camion de produits surgelés à destination de la piscine de Renens pour y livrer une tonne de glaces Pralinato. Tu ressembles désormais à Simon Amman après un combat de boxe contre Mike Tyson dans Jurassic Park. (tu passeras tout l’été à l’hôpital de La Chaux-De-Fonds, plâtré dans un lit-coquille comme les protagonistes de « Full Metal Quéquette », c’est-à-dire une fois dans un sens, une fois dans l’autre).

Alors que t’aurais pu rester tranquillement au bureau, à regarder tes amis poster des photos de leurs vacances d’été.

Frédéric Goncerut - Textes